C’est en lui attribuant le titre de « précurseur de Beccaria » que les Siciliens, attachés à leurs traditions séculaires et soucieux de conserver intacte la vie immanente de leur peuple, ont voulu graver une épitaphe idéale à la mémoire de Tommaso Natale . Cette revendication d’une antériorité chronologique supposait un non-dit implicite : Natale appartenait certes à la noblesse de sa ville et il possédait une solide culture, mais il n’avait pas eu la chance de vivre à Milan, ville beaucoup plus proche du cœur des Lumières que Palerme . Après son premier ouvrage, qui fait l’éloge de Leibniz et est mis à l’Index en 1758 , Natale s’installe à Naples pour se consacrer à la rédaction des Riflessioni politiche intorno all’efficacia e necessità delle pene (Réflexions politiques sur l’efficacité et la nécessité des peines), laissées prudemment inédites en 1772. Pendant ce temps, Beccaria publie Des délits et des peines en 1764. Natale annote alors son manuscrit à l’attention de la postérité : « J’écrivis mes Riflessioni alors que je me trouvais à Naples en 1759, et donc bien avant que soit publié le sage système de M. Beccaria sur les délits et les peines. » L’anecdote allait être souvent répétée au cours des siècles suivants.L’ouvrage de Natale n’a pas la force innovante d’inspirer un système pénal fondé sur des critères de raison et d’humanité, où la liberté individuelle ne serait limitée que par les exigences de la coexistence civile. En un certain sens, il manque son objectif, puisqu’il voulait que le philosophe-juriste guide l’action du souverain. Non qu’il n’en ait pas eu le projet : souvenons-nous que Natale préconise une nouvelle éducation à la politique et au gouvernement de la chose publique. Mais c’est un homme de son temps et surtout de son espace, et cet espace est celui d’une île où la mise en œuvre des réformes a été pour l’essentiel imposée par le gouvernement de Naples. Bien plus que ceux de Naples, les groupes dominants de la société sicilienne traversent les dernières décennies du XVIIIe siècle en se retranchant dans une lutte obstinée pour la survie du monde ancien, pour leur propre survie et la défense de leurs privilèges, plutôt qu’en prenant le risque d’une lutte nouvelle, celle qui liait le sort du monde moderne à la proclamation et à l’exercice des droits de l’homme et du citoyen.

La « merveilleuse oppression » de la peine. Tommaso Natale, précurseur de Beccaria ou épigone de Leibniz ?

ALIBRANDI, Rosamaria
2017-01-01

Abstract

C’est en lui attribuant le titre de « précurseur de Beccaria » que les Siciliens, attachés à leurs traditions séculaires et soucieux de conserver intacte la vie immanente de leur peuple, ont voulu graver une épitaphe idéale à la mémoire de Tommaso Natale . Cette revendication d’une antériorité chronologique supposait un non-dit implicite : Natale appartenait certes à la noblesse de sa ville et il possédait une solide culture, mais il n’avait pas eu la chance de vivre à Milan, ville beaucoup plus proche du cœur des Lumières que Palerme . Après son premier ouvrage, qui fait l’éloge de Leibniz et est mis à l’Index en 1758 , Natale s’installe à Naples pour se consacrer à la rédaction des Riflessioni politiche intorno all’efficacia e necessità delle pene (Réflexions politiques sur l’efficacité et la nécessité des peines), laissées prudemment inédites en 1772. Pendant ce temps, Beccaria publie Des délits et des peines en 1764. Natale annote alors son manuscrit à l’attention de la postérité : « J’écrivis mes Riflessioni alors que je me trouvais à Naples en 1759, et donc bien avant que soit publié le sage système de M. Beccaria sur les délits et les peines. » L’anecdote allait être souvent répétée au cours des siècles suivants.L’ouvrage de Natale n’a pas la force innovante d’inspirer un système pénal fondé sur des critères de raison et d’humanité, où la liberté individuelle ne serait limitée que par les exigences de la coexistence civile. En un certain sens, il manque son objectif, puisqu’il voulait que le philosophe-juriste guide l’action du souverain. Non qu’il n’en ait pas eu le projet : souvenons-nous que Natale préconise une nouvelle éducation à la politique et au gouvernement de la chose publique. Mais c’est un homme de son temps et surtout de son espace, et cet espace est celui d’une île où la mise en œuvre des réformes a été pour l’essentiel imposée par le gouvernement de Naples. Bien plus que ceux de Naples, les groupes dominants de la société sicilienne traversent les dernières décennies du XVIIIe siècle en se retranchant dans une lutte obstinée pour la survie du monde ancien, pour leur propre survie et la défense de leurs privilèges, plutôt qu’en prenant le risque d’une lutte nouvelle, celle qui liait le sort du monde moderne à la proclamation et à l’exercice des droits de l’homme et du citoyen.
2017
978-2-84788-883-6
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